Chronique SVM Mac - avril 2001

Un nouveau matériau pour les artistes du 21ème siècle

Daniel Ichbiah

 

Un défi sans précédent s’ouvre pour les artistes du 21ème siècle, qu’ils soient peintres, sculpteurs ou décorateurs : celui d’exploiter un nouveau type de matériau, une substance mouvante, animée par l’intelligence des puces, celles-ci étant miniaturisées à un point tel qu’elles seront intégrées dans des corps moulables à volonté.

Les robots que nous voyons apparaître (qu’il s’agisse des animaux domestiques Aibo de Sony ou de l’aspirateur autonome de Dyson) ne sont que les prémisses d’une nouvelle forme de matériau. D’ores et déjà, nous voyons apparaître des piles à même de prendre toutes les formes (les fameuses Lithium Polymère). En Angleterre, la société ixiLab propose une lampe qui prend la forme de ce qu’elle touche. Et la société Zyvex, bien qu’elle soit discrète sur ses recherches, travaillerait à la création de machines permettant l’auto-assemblage de formes diverses. La nouvelle informatique va devenir volumique, s’insérer dans les objets et les matériaux.

Nous pouvoir prévoir l’apparition dans un proche futur d’un type d’élément de construction qui sera à la fois programmable, mobile (capable de s’agglutiner à ses pairs) et doté de capteurs. Miniaturisons une telle brique de base et nous obtenons une matière d’un type inconnu jusqu’alors, pouvant prendre des formes, des textures (apparences) en fonction d’événements extérieurs. Nous aurons ainsi dans le monde réel ce qui n’existait que sur les écrans des ordinateurs.

A partir d’un tel matériau, un peintre pourrait concevoir un tableau dont le motif varierait imperceptiblement, passant d’un paysage irlandais à une représentation abstraite ou à une image de science-fiction. Les micro-facettes formant la toile pourraient pivoter de manière à afficher une scène différente. Le moment de transition dépendre de facteurs divers : l’heure du jour, la température de la maison, la météo extérieure, le cours d’une action donnée...

En matière de sculpture, l’enjeu est plus intéressant car nous devrions pouvoir obtenir des formes solides subissant un morphing harmonieux, là encore en fonction d’événements donnés. La représentation d’une déesse pourrait muter en celle d’un animal mythique ou dans le buste de la maîtresse de maison.

Les vêtements ne seront pas épargnés. Rien n’interdit d’envisager des vestes dont le motif mais aussi certains aspects (forme du col, type des  boutons...) changeraient en fonction du lieu où l’on se trouve, passant du plus classique au plus « branché ». L’architecture des immeubles pourrait elle-même subir l’influence de l’apparition de tels matériaux. On pourrait ainsi concevoir un intérieur dans lequel, si on le désire, la fenêtre du salon se déplace afin de faire entrer un maximum de soleil dans le séjour. Ou une cour dans laquelle le mobilier change de style en fonction du type de fête que l’on désire donner.

Cette capacité des objets à changer de forme et d’apparence pourra être utile sur le plan pratique : s’il manque une chaise pour le déjeuner, sur simple demande, l’échelle pourra se transformer en dossier. Il est même probable que l’on trouvera dans chaque intérieur un ou plusieurs de ces objets voués à changer de forme et d’apparence à volonté. Mais il y a également là un champ d’exploration extraordinaire pour les artistes, plus vaste encore que celui qui s’est ouvert dans les années 90 pour ceux qui ont découvert l’image de synthèse 3D animée en temps réel.

A terme, la palette de tels créatifs sera celle d’un matériau à même de muter et d’interagir dans l’espace où nous évoluons. Ils manipuleront peut-être des outils équivalents aux Photoshop, Illustrator, Flash ou Animator Pro d’aujourd’hui. Mais il se peut également qu’ils aient à leur disposition un matériau nécessitant une peinture, un assemblage et un montage manuel, ce travail « à l’ancienne » étant complété par l’utilisation de logiciels assurant les transitions de forme. Une toute nouvelle vague artistique pourrait ainsi voir le jour d’ici une dizaine ou vingtaine d’années.