Chronique Daniel Ichbiah - septembre 2003
Il y a un peu plus d'un an, dans le cadre d'un livre, j'avais interviewé le chanteur Charlélie, relativement à son utilisation de l'informatique musicale. Il avait alors déploré ne plus pouvoir remixer l'un de ses anciens albums car un certain magnétophone à bande rare et utilisé 15 ans plus tôt n'existait plus aujourd'hui. J'avais alors rétorqué qu'avec le numérique, cette situation n'allait plus arriver. Tout serait conservé sur les disques durs ou CD-ROM des ordinateurs, et donc les données seraient retraitables à volonté.
Charlélie était sceptique et il s'avère qu'il avait raison... Les systèmes de protection récemment mis en place par certains éditeurs, sont en train de mettre en péril la possibilité de pouvoir demain re-traiter ce qui est enregistré aujourd'hui. Cette situation est extrêmement grave et vaut pour d'autres domaines.
Lorsqu'il a fallu, 30 ans plus tard, remixer les bandes de Yellow Submarine des Beatles, il a suffi de rejouer celles-ci sur les magnétophones 4 pistes de l'époque, de marque Studer. Imaginons que George Martin ait enregistré les Beatles aujourd'hui avec la dernière version de Cubase ou Logic Audio, des logiciels protégés par des dongles spécifiques. Imaginons qu'il ait utilisé des instruments virtuels fournis par Edirol, qui nécessitent tous les deux mois, de placer le CD-ROM d'origine dans le lecteur et iKMedia, qui demande à l'installation d'obtenir un numéro de série via Internet (ces noms d'éditeurs sont uniquement indiqués à titre d'exemple, car leurs logiciels sont par ailleurs appréciés.)
Imaginons donc George Martin désirant faire un remix en 2033. Il a retrouvé les fichiers d'origines, l'équivalent numérique des bandes d'hier. Il peut relire les enregistrements sonores, mais ce n'est qu'une information minime. Tout le traitement effectué (mixage, effets, enchaînements…) nécessite le logiciel d'origine. Si tout va bien, le studio Abbey Road a été prudent et a conservé un iMac datant de 30 ans, avec les logiciels d'époque, et il fonctionne encore tel quel. Si tel n'est pas le cas, les galères commencent.
Martin doit d'abord retrouver sur un site d'enchères, un iMac acceptant encore le Mac OS X et le Cubase correspondant - nous avons tous appris à la dure que certaines versions des logiciels ne fonctionnent pas toujours avec certains numéros de l'OS ! Faute de retrouver de tels objets rares, que fait-il ? Peut-t-il téléphoner à une quelconque hot-line concernant des antiquités qui ne sont plus en vente depuis 3 générations ?
Soyons optimistes. Abbey Road a stocké les iMac avec leurs logiciels de l'époque, et par miracle, les disques durs ont tenu le choc. Martin peut-il commencer à travailler ? Pas si vite… S'il veut utiliser son logiciel de production musicale, il faut à présent retrouver quel était le dongle accepté par Cubase ou Logic, trois décennies auparavant ! Si par miracle, il a été conservé, il faut ensuite introduire les CD-ROMs d'origine d'Edirol dans le lecteur faute de quoi, ces instruments virtuels refusent de fonctionner. Pour iKMedia, la situation est plus dantesque : Martin se fait refuser l'installation de ces logiciels dûment achetés en 2003 sous prétexte de ne pouvoir trouver un site Web capable de lui télécharger un numéro de série !
Il va de soi qu'une telle situation est absurde. Elle prêterait à rire si elle ne mettait en péril une partie du patrimoine musical d'une époque. Et d'autres industries sont pareillement menacées : traitement photographique, montage vidéo, animation…
Que faut-il en conclure ? Que les systèmes de protections adoptés par certains éditeurs sont devenus dangereux. Ils étaient déjà stupides dans la mesure où ils pénalisent uniquement l'utilisateur qui achète légalement ses produits — tout en demeurant d'une totale inefficacité vis-à-vis des pirates. Mais ils font aujourd'hui peser un risque historique sur la liberté de retraiter ses propres créations. Il importe d'alerter massivement les producteurs de contenu afin qu'ils puissent imposer l'arrêt de tels systèmes de protection. Il va de la pérennité des données.
Daniel Ichbiah