Chronique - mars 2005

La route intelligente, libératrice du pilote ?

Daniel Ichbiah

 

Trois projets à grande échelle sont en cours au niveau mondial afin de rendre les routes plus sûres et la circulation plus fluide : Smart Cruise 21 au Japon, Intelligent Vehicle Initiative aux USA et toute une série de programmes nationaux en Europe tels que Arcos (France), Invent (Allemagne), Intelligent Speed Adaptation (Suède)… À chaque fois, nous voyons se dessiner à terme une coopération entre la route bardée de capteurs et le véhicule qui communique avec ceux-ci, l’ensemble étant entendu informatisé.

Certaines applications sont particulièrement séduisantes, notamment celle qui permettrait de donner le contrôle au véhicule durant un embouteillage. Les voitures pourraient avancer automatiquement en respectant une distance mutuelle le temps que le trafic se décongestionne, et le conducteur serait libre de feuilleter un magazine durant quelques minutes, plutôt que de maintenir son attention à réguler une avancée au ralenti.

Pourtant, de tels projets soulèvent aussi une problématique fondamentale qui est la suivante : à quel moment peut-on considérer que le pilote a perdu la maîtrise de son véhicule et que l’ordinateur doit donc prendre le contrôle ? C’est la première fois qu’une application d’Intelligence Artificielle va être dotée à une telle échelle du droit d’outrepasser la volonté de l’humain…

L’un des objectifs majeurs des divers programmes mis en place est de sauver des vies humaines. Sur les démonstrations de prototypes nous observons donc des cas de figure tels que celui-ci : l’ordinateur de bord détecte qu’une forme se déplace lentement en travers de la route et qu’un risque de collision existe — dans la réalité, il pourrait s’agir d’un petit garçon ou d’un chien. Il prend alors des mesures d’information du conducteur : « attention, il faut impérativement ralentir ! ». Maintenant, que faire si le pilote n’obtempère pas, pour des raisons dues à la fatigue ou à l’ébriété ? Sur certains véhicules actuellement en test, il est attendu que l’ordinateur calcule la distance de freinage et qu’à un moment donné, la pédale d’accélération amorce une résistance au pied du pilote et que celle de freinage entre en action.

Devant la perspective de sauver la vie d’un enfant, on pourrait penser que les conducteurs seraient unanimement favorables à une telle informatisation des routes et des véhicules. Pourtant, dans la pratique, si une telle évolution est vécue favorablement au Japon, en Europe, il existe une très forte résistance à la perspective de lâcher un peu de cette autonomie des commandes d’une automobile !

Comment faire pour qu’une telle intervention de l’informatique soit mieux acceptée ? Il faudrait tout simplement qu’elle apporte globalement une plus grande liberté que ce qu’elle retire à des fins de sécurité. Or, il existe un domaine où la route intelligente pourrait séduire en masse la plupart d’entre nous : celui des limitations de vitesse.

Pour l’heure, nous avons affaire à des radars dépourvus de toute intelligence et devons subir l’effet de restrictions imposées quel que soit le contexte existant à un moment donné. Pourtant, si l’on se réfère à l’objectif poursuivi par de telles mesures (épargner des vies humaines), il apparaît immédiatement qu’une limitation de vitesse figée n’a aucun sens. Il existe des situations où l’on circule sur des autoroutes désespérément vides sur des dizaines de kilomètres. Pourquoi faudrait-il imposer une limitation à 130 kilomètres / heures, si sur un certain segment de la route, les capteurs indiquent qu’il n’existe tout simplement aucune situation de danger ? Pourquoi ne pourrait-on autoriser l’automobiliste à pleinement déguster la puissance de son véhicule, tout en sachant qu’à tout moment, cette limitation pourrait être ajustée, quitte à descendre à 70 km / heures dans un autre contexte, sur cette même route.

En redonnant aux conducteurs la perspective de profiter du plaisir de la conduite, les promoteurs de routes intelligentes pourraient bien plus aisément faire admettre cette nécessaire intrusion de l’Intelligence Artificielle dans notre pré carré.